Internet relève le pari d’une libre circulation de l’information et d’un partage de données sans limite - sous réserve d’un accès au réseau. Cependant la transmission de la valeur (argent, vote électoral, actions, billets nominatifs etc...) entre les internautes est soumise à la validation d’autorités (comme les banques). La blockchain promet de bousculer les règles de l’économie numérique, en proposant une solution disruptive mais néanmoins sécurisée au partage numérique de la valeur.
Internet et le pouvoir de décision
Envoyer une image de ses vacances, télécharger un document, visionner une vidéo en streaming ou encore accéder à une information via le web… autant d’applications abordables d’Internet. Ce gigantesque réseau informatique permet l’accès et le partage d’informations à travers le monde, moyennant la possibilité de s’y connecter. Mais transmettre une information ou un fichier numérique, c’est d’abord le dupliquer avant d’en envoyer une copie. Ainsi la photo de vacances est conservée par la personne émettrice et existe également sur l’ordinateur du ou de la destinataire.
Cette possible duplication illimitée de l’information n’est pas problématique. Néanmoins, ce système de transmission via Internet empêche le transfert de valeur. La valeur peut représenter de l’argent, mais également des points de fidélité, des billets de concerts nominatifs ou encore un vote ; tout ce qui est unique. Par exemple, lors d’un transfert d’argent entre deux internautes, il est essentiel que cette quantité ne soit pas dupliquée, sous peine d’une perte de sa valeur.
Par conséquent, la validation d’une transaction impliquant de la valeur est confiée à une autorité (banque par exemple). On parle alors de gestion centralisée du web, car le pouvoir de décision et d’innovation est concentré par quelques acteurs. Pourtant à sa genèse, Internet est conçu pour mettre en réseau les utilisateurs et utilisatrices afin que les informations puissent être partagées de manière décentralisée ; c’est-à-dire sans autorité centrale.

Différence de validation d’une transaction dans un système centralisé et décentralisé. ©Leila MOUNSIF
La blockchain ne ment pas
Concrètement, il manque à Internet la décentralisation du pouvoir de décision concernant la valeur. Afin de garantir des transactions conformes et d’éviter les dérives, les informations (valeur, date…) relatives à ces transactions pourraient être partagées et vérifiables par tous les internautes. Il s'agirait de les consigner dans une base de données indélébile et sécurisée.
Cette innovation n’aurait rien d’utopique et elle existe déjà. La technologie qui permettrait de compléter la décentralisation d’Internet est la blockchain.
En pratique, la blockchain est un programme informatique qui prend la forme d’un registre des transactions. Elles sont transformées en données chiffrées dans des blocs reliés (on dit aussi chaînés) entre eux et c’est cette structure spécifique qui confère son nom à la blockchain (chaîne de blocs). La particularité de cette base de données est son partage simultané par toutes les personnes qui l’utilisent et qui sont toutes également propriétaires de ce registre, mais doivent tout de même s’identifier et prouver leur droit d’accès pour le consulter. L’autorité est alors décentralisée et c’est justement ce qui garantit la sécurité.
A sa création par une ou un internaute, le programme informatique constituant la blockchain n’existe qu’en local, sur l’ordinateur de cette personne. Pour faire vivre la blockchain et la rendre profitable, de nouveaux membres doivent intégrer le réseau informatique en devenant des nœuds. Ensuite, la blockchain est mise à jour sur tous ces nœuds avec une intégration chronologique, indélébile et infalsifiable des transactions à l’historique.
Vous acceptez les cryptomonnaies ?
Le passage à une gestion décentralisée des partages de valeur promet une profonde modification des règles de l’économie numérique. Outre la multitude d’innovations digitales nées au début du 21ème siècle, les cryptomonnaies en sont un exemple pertinent. Il s’agit d’une monnaie indépendante et représentée numériquement, bien que le terme “monnaie” soit une dérive de langage. En effet, ces cryptomonnaies ne suivent pas de cours légal et ne peuvent pas être déclarées. La Banque de France ne les considère pas comme des monnaies et leur préfère le terme de “crypto-actifs”. La plus connue est le Bitcoin (BTC, dont l’unité de compte est le bitcoin).
En 2008, un ou une internaute répondant au pseudonyme de Satoshi Nakamoto - son identité n’est pas révélée - est à l’origine d’un protocole informatique permettant l’utilisation du Bitcoin. Ce programme repose sur un système de consensus autour de l’historique des transactions réalisées en Bitcoin [1]. Autrement dit, l’historique est mis à jour avec une nouvelle donnée lorsque suffisamment de nœuds l’ont validée. La confiance entre les nœuds du réseau constitue le fondement de la blockchain développée pour assurer les transactions en Bitcoin.
La validation d’une donnée repose sur la résolution d’un problème de cryptographie nommé preuve de travail (proof-of-work en anglais). Cet exercice est essentiellement basé sur la puissance de calcul des ordinateurs et permet de garantir la légitimité d’un nœud et de prévenir les tentatives de sabotage de la blockchain.
Les nœuds qui réalisent ces calculs à des fins de validation des transactions et par extension, à des fins d’entretien de la blockchain sont des mineurs. Les personnes actives à travers ces nœuds sont récompensées en recevant des tokens - un actif numérique - échangeables sur la blockchain pour un service, à la manière d’un jeton ou d’un bon.
Un potentiel futuriste
La monnaie n’est qu’une application possible de la blockchain et de la décentralisation de la gestion du web. Également, le Bitcoin - focalisé sur des applications monétaires - n’est qu’une utilisation possible de la technologie blockchain. Une autre plateforme prometteuse a émergé, il s’agit d’Ethereum qui a l’ambition d’imaginer de nouveaux usages du web. D’ailleurs de nombreuses applications décentralisées - désignées par Dapps - ont émergé grâce à cette blockchain.
A la source de nombreuses d’entre elles, les contrats intelligents - ou smart contracts en anglais - permettent d’assurer les termes d’un accord concernant un service et sa contrepartie. Ces programmes sont autonomes et s’exécutent d’après les conditions du contrat. Par exemple, si une agence de voyage n’est pas en mesure de fournir le service convenu (retard d’un trajet, erreur de réservation…) le programme exécutera l’indemnisation des voyageurs et voyageuses sans que ces derniers ou ces dernières n’aient à effectuer une réclamation auprès d’une institution juridique.
Dans l’industrie musicale, les contrats intelligents sont un outil pour les artistes dont les droits et la rémunération par les plateformes de diffusions sont faillibles. Un service créé à partir d’Ethereum, nommé UjoMusic, vise à garantir les droits des artistes qui inclueraient leurs productions sur une blockchain, reprenant ainsi le contrôle sur leur rémunération.
Une autre application possible de la blockchain est la preuve de propriété. Il existe au Ghana un service nommé Bitland, permettant d’inscrire les titres de propriétés dans une blockchain. Comme celle-ci est partagée par une multitude de nœuds et donc impossible à falsifier, les titres consignés dans le registre sont authentifiés.
La blockchain peut également constituer un moyen d’optimiser l’usage des appareils informatiques (téléphones, ordinateurs, tablettes). En effet, leur puissance de calcul n’est pas exploitée lorsqu’ils ne sont pas utilisés. D’autre part, certaines entreprises projettent de proposer un service mais ne disposent pas de suffisamment de ressources informatiques à leur lancement. Un service nommé Golem permet de mettre la puissance de calcul de particuliers, à disposition d’entreprises en échange de tokens. Avec ces jetons récoltés, les particuliers peuvent avoir accès au service de cette entreprise. Dans cet exemple, la blockchain permet de sécuriser la transaction et de faciliter l’accès à des ressources déjà existantes, plutôt que d’encourager l’acquisition de nouvelles machines.
Finalement, à l’instar d’Internet à ses débuts, la technologie blockchain est prometteuse et permet une nouvelle vision décentralisée de la gestion du web, basée sur la confiance entre les membres du réseau informatique. De nombreuses amorces d’applications innovantes apparaissent et révèlent l’opportunité pour la France de rattraper le retard accumulé dans l’écosystème numérique, en encourageant la recherche et le développement de cette technologie.
En savoir plus
[1], Texte fondateur de la blockchain pour le Bitcoin : S. Nakamoto, “Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System.”
Pour d’autres explications à haut niveau
Un article du Ministère de l’économie “Qu’est-ce que la blockchain ?”
Le site internet https://www.blockchainfrance.net
Pour mieux comprendre les enjeux du web décentralisé et de la technologie blockchain
Conférences TEDx “Le web de demain sera décentralisé” et “La blockchain : réinventer les rapports de confiance”
Pour des exemples concrets d’applications
Le podcast “Block interview - 100% blockchain” qui donne la parole à celles et ceux qui utilisent cette technologie
Article paru dans Je Science donc J'écris n°27 - Avril 2021