Lutter pour une cause qui nous anime - qu’elle soit sociale, environnementale ou toute autre - est stimulant car on fait partie d’un mouvement collectif en accord avec nos valeurs. Mais l’action peut être éreintante, surtout lorsque l’équilibre est rompu entre la vie privée et le militantisme. Il s’agit de nuancer sa responsabilité dans la cause pour se préserver, et restaurer le sens donné à la lutte.
Lutter pour une cause peut amener à une importante dépense d’énergie. La fatigue militante est une épée de Damoclès qui menace de couper l’élan des personnes qui s’investissent dans leur combat. Entre des actions sur le terrain et une lutte éreintante menée dans son environnement proche pour faire part de sa prise de conscience, l’épuisement guette. Il n’est pas aisé de mobiliser ses propres ressources pour militer en faveur d’un monde en accord avec nos valeurs. Parfois nos actes peuvent sembler vains face à l’ampleur des discriminations ou du déséquilibre environnemental. Une oppression supplémentaire peut être perçue en comprenant que ces dérèglements sont générés par un système solidement établi, face auquel il est difficile de lutter. Des solutions existent pour prévenir cette fatigue et ne pas s’oublier dans le combat.
Le débat se donne en spectacle
Les discussions sur les luttes contre les discriminations sont des terrains propices à la discorde. Il est attendu des personnes qui dénoncent une inégalité, un devoir de pédagogie et de patience. Dans l’espace public ou médiatique, les débats sont souvent mis en scène pour servir la télégénie plutôt que la cause. En effet, on assiste à une opposition presque caricaturale des idées entre des personnes aux idées réactionnaires et des militant-es excédés-es. Pourtant, le débat gagnerait à être enrichi de nuances s’il était mené avec plus de bienveillance.
Déconstruire une idée signifie l’analyser et la remettre en question. Parfois, certaines pensées ou normes nous paraissent évidentes. Cependant, il est possible de les décortiquer et d’observer le sens de ces idées (parfois reçues) afin de se forger son propre avis.
Mais la sphère privée peut également être peu encline à la déconstruction et il est difficile de faire accepter ses idées à contre-courant de son entourage. Ce qui constitue une fatigue supplémentaire. Il s’agit alors de se trouver au cœur d’un dilemme permanent entre pédagogie et lâcher prise. Dans le cas d’une prise de conscience écologique, il devient éreintant de faire des efforts mais de les voir ruinés par un entourage sans considération environnementale. La cause qu’on défend peut conduire à devenir la cible d’un débat déséquilibré et peu sain, duquel il ne faut pas hésiter à sortir. En effet, les arguments qui décrédibilisent les luttes sonnent creux, mais ils sont nombreux et récurrents.
Lorsque la lutte consume
Au-delà des propos, la fatigue guette celles et ceux qui militent au quotidien par les actes. La charge mentale associée aux démarches concrètes d’éducation de son entourage et aux changements d’habitudes épuise alors. Plus largement, ces luttes nécessaires ne sont pas accompagnées de changements structurants ni de résultats encourageants à la hauteur de l’énergie investie. Militer en groupe au sein d’une association n’écarte malheureusement pas le risque d’épuisement, voire de burnout.
Les associations s’attèlent à résorber les failles du système inéquitable et discriminant, mais les activistes qui y travaillent (bénévolement ou de manière salariée) sont sujet-es au burn-out militant. Cette fatigue extrême peut se muer en dépression et a une durée variable selon les individus et la qualité de la prise en charge et du soutien reçu. Lorsque la “pillule rouge” est avalée, c’est-à-dire lorsque la personne décide de voir le monde à travers le prisme de la lutte qui l’anime, les oppressions du système se révèlent spontanément et sont autant de violences à endurer.
L’exposition permanente aux informations relatives à leur cause, le détachement difficile à conserver lorsqu’ils et elles sont victimes de l’oppression dénoncée, ou l’ensemble des sacrifices - du temps de sommeil à des engagements privés - réalisés en faveur du militantisme sont des facteurs de cette fatigue mentale. De plus, le manque de valorisation et de moyens ainsi que l’impression que les actions militantes sont insignifiantes face à une montagne d’inégalités bien installées peuvent contribuer à l’épuisement des personnes investies. Le hashtag #PayeTonBurnOutMilitant a d’ailleurs émergé en 2019, recueillant les témoignages de militantes féministes qui subissent ce surmenage.
Puiser ses ressources dans la bienveillance et le collectif
Il semble ainsi crucial de mener la lutte sans s’oublier et troquer le champ lexical du combat contre celui de la bienveillance, le temps de se ressourcer et de se souvenir des raisons qui poussent à s’impliquer. D’ailleurs, une possibilité serait de réorganiser l’action militante, sans pour autant l’abandonner mais simplement mieux maîtriser l’investissement pour un militantisme plus durable. Mais d’autres solutions plus personnelles existent. Notamment, l’importance de l’identification des victoires intermédiaires, la capacité à refuser ou freiner son implication ou encore le respect des limites de sa propre responsabilité peuvent être bénéfiques.
Finalement, la perspective d’une importante dépense d’énergie se greffe à la notion de lutte. Mais elle se réalise aussi par le respect de soi et la bienveillance. Se préserver de la tornade épuisante peut passer par la mise en pause de ses activités militantes, ou la réorganisation de l’action. L’objectif étant de pouvoir agir sur le long terme en trouvant toujours du sens à la lutte qui nous anime.
En savoir plus
Outils pour ré-organiser l’action militante : Cox, Laurence (2011) How do we keep going? Activist burnout and personal sustainability in social movements. Into-ebooks Helsinki.
Outils pour se préserver : Guide de répartie du collectif #NousToutes, pour répondre aux phrases sexistes :
Épisode de podcast de Binge Audio, “Guide de survie aux fêtes de famille” :
Article paru dans Je Science donc J'écris n°28 - Septembre 2021